|
|
||
Dans un monde où le paraître l'emporte sur le vécu, il importe de donner le change... Mais si l'on s'est parfois demandé dans quelle mesure Georges Arnaud était "crédible", c'était vraiment au sens premier du terme : "doit on le croire ?". Parce qu'en tant qu'individu, ceux qui l'approchaient n'avaient aucun doute... Généralement on peut se demander si une imposture, une entourloupe, est "crédible", mais pas un citoyen, surtout s'il est authentique (la question "doit-on croire en lui ?" ne se pose pas).
Incroyable vie, à plus d'un titre : le discernement, dans la nuance, sera donc requis plus qu'ailleurs pour observer la vie de l'auteur des "Aveux les plus doux". Et y croire, à cette vie boycottée par des fonctionnaires retors, puis romancée avec panache, c'est presque déjà le comprendre...
I/"terrain vague"*
Paradoxe incandescent
et permanent d'un caïd cultivé, d'un repris de
justice inquisiteur (pour la presse), d'un homme de lettres chauffeur,
d'un escroc se moquant de l'argent, d'un juriste idéaliste,
d'un romantique athée, d'un martyr belliqueux ...
Auparavant il n'était qu'un jeune "blouson doré",
un dandy prêt à ne s'inventer une vie, aux yeux
des proches, que pour déjouer l'autorité
paternelle ou soutirer de l'argent à sa tante
très riche. Jeux de rôles...*
Des recherches plus précises seraient
préférables avant de pouvoir l'affirmer
catégoriquement, sans friser la diffamation, mais il se
pourrait bien qu'il fut, en son jeune temps, un "zazou" parisien.
Mais entre
octobre 1941 et juin 1943 une métamorphose va
s'opérer tandis qu'il attendra dans cette prison,
où l'on meure de faim et de froid ("à
la guerre comme à la guerre") son jugement. (La
peine capitale ? La veille du procès le maton
prépare exprès la chambre des
condamnés à mort...) Il faut dire qu'on
lui reproche le massacre, une nuit, de son père, de sa
tante, de la bonne (la légende dit aussi du chien)
à la serpette. Ce père, archiviste au Quai
d'Orsay sous Vichy, libre penseur, n'avait pas que des amis, pour
sûr...
A la suite de l'acquittement(de la victime...) le futur écrivain "repartira à zéro" (littéralement, selon ses mots), ébranlé mais debout, cherchant la rédemption comme beaucoup au Nouveau Monde (c'est en Amérique du Sud du 2 mai 1947, arrivé au Venezuela, à mai 1949, qu'il sera chauffeur de taxi, ou de camion, essentiellement). (A noter que le livreur, inspirateur du "salaire de la peur", transportait en fait des tuyaux pour un pipe-line, chargement, sans en avoir l'air, tout aussi dangereux pour l'habitacle à l'avant, en cas de secousse malencontreuse, que la nitroglycérine).
Pour être exact, à ses yeux la rédemption escomptée serait plutôt celle de la société en vrac, à l'efficience ébréchée par ce tragique épisode, et à laquelle il redonne ainsi une chance de reluire dans son estime.
Se repentir* dans le labeur ... Il a compris mieux que personne que le véritable héroïsme n'est plus chevaleresque mais prolétaire, laborieux.
*("Se repentir c'est trouver la bonne pente, pour pouvoir se mettre en roue libre" - un cycliste pentecôtiste).
De fils
de bonne famille il va se muter en dur-à-cuir (appellation
qui lui irait comme un gant [de boxe] s'il n'y avait cette
sensibilité
à fleur de peau !) ballotté parmi les
damnés
de la Terre : les bagnards évadés, les putains,
les indiens... j'en passe et des pire ; (Exemple
1/ le co-détenu
: "Il portait, tatouée en gothique sur la poitine,
une fière devise : Remembert, avec un "t", comme
camembert". Exemple 2/ le pire : "un petit tueur tchèque
bon marché, retraité sans pension de la Gestapo
de Prague. Je suis sans sympathie pour ce genre de gars"
précise-t-il ).
Magnanime,
il va scruter l'humanité, probablement encore enfouie chez
des êtres d'exception.
Car s'il est une chose que l'on ne peut lui reprocher : c'est
d'être atteint de panurgisme.
Expérience "outware" : liberté non conditionnelle éprouvée. "Il a eu chaud" disait-on de lui... Là, il s'est éclipsé, il n'est pas à l'ombre, mais il a encore plus chaud.
Au decrescendo de sa vie, quand il s'exilera à nouveau,
en Algérie, ce sera pour participer à une autre
métamorphose, collective celle-là.
Concrétiser
l'édification d'un nouveau monde, dans l'utopie d'une
indépendance
toute fraîche. Rebâtir entre personnes de bonne
volonté,
construire dans l'inédit ne pouvait que le
séduire,
abstraction faite des manœuvres
coercitives entre
OAS et FLN (il y a des chances qu'en anarchiste convaincu il
rêvait
d'une société fleurant bon "l'ordre moins le
pouvoir").
De la mise en scène (de son vécu) il
était
passé à la réalisation (de sa vie).
A partir de 1950 (jusqu'en 1960), à 32 ans Georges Arnaud
fut le précurseur du style "cargo" qui
agrémentera
la hype de l'underground des années 80, avec ce que l'on
pourrait appeler le style "camion", qui fit aussi les
beaux jours des mondanités parisiennes dans les
années
50 (où l'on s'arrachait l'authentique baroudeur à
la plume vive). Le débardeur est toujours plus universel
que le marcel. Georges Arnaud portait bien la désinvolture
déchirée, le "j'm'en-foutisme" aux abois...
N.B. Il se pourrait bien qu'il fut pour quelque chose dans cette engouement dans les années 70, chez les rockers, les rebelles, pour ces bottes d'Amérique Centrale ou fabriquées plus au sud, qu'on désigne sous le terme générique de "santiags" (même si elles sont rarement originaires de Santiago du Chili)...
Mais toute
sa vie (et même au delà), il
essuiera la
souillure de regards suspicieux. Son évocation provoquera
souvent le frisson, diabolique, du doute. Toujours cette
gêne de l'éventualité d'une
déraison
masquée par une intelligence certaine. Et surtout, toujours
la déstabilisation dérangeante d'une invocation
impossible des coupables, d'une accusation retournée, les
rôles à jamais inversés. Chacun se dit
que
cet homme peut tuer n'importe qui, n'importe quand. Il le sent
bien qu'il est le témoignage vivant, involontaire et retenu
de la malfaisance. Alors il suscitera jusqu'au tourment une
dénonciation
de la sauvagerie civilisée (colère
forcément
avortée, autocritique fatalement morte dans l'oeuf) ...
"La Géhenne c'est les autres" (comme
on dit chez nous).
Pourtant,
avec pas mal d'esprit, quand un jeune caricaturiste de la
rédaction
le poursuit ironiquement, au moment du bouclage autour des presses,
en chuchotant "assassin ! ... assassin ! ... assassin
!" Il se retourne et répond :"On m'a
toujours
dit que pour être journaliste, il fallait avoir
tué
père et mère. Je n'ai pas trop mal
commencé
..."
Toujours cette préséance de "l'instruction"
en face du manque de bienséance ...
Dans Le Voyage du Mauvais Larron (p.44)
il raconte
comment entre "la plaine au pétrole" et Caracas,
des panneaux avertissent du danger mortel d'une rivière
polluée. "Des
écriteaux annoncent la couleur, une main jaune sur un fond
bleu : hay bilharzis*,
ne vous baignez pas vous en crèveriez. Mais les gens du
pays ne savent pas lire; mon cheval non plus, il en a bu, il en
est mort. Pas moi, qui suis instruit."
* "hay bilharzis. Il y a bilharzis, dit-on en espagnol, comme nous disons il y a erreur. Il y a bilharzis, il y a des morts et des morts vivants."(id.)
|
Ses voyages : En allant puiser dans ses souvenirs, il pouvait partager le miracle de faire revivre des moments épiques, et il y allait volontiers, en faisant des bonds comme un lémurien sortant de l'ombre, comme un toxico partant faire son marché ... {Il a beaucoup appris ; des gens / aux gens}(1). |
|
(1) Cela ressemble à un slogan pour une radio (cf. "les français parlent aux français").(Puisque le verbe apprendre est l'un des rares à être en même temps transitif et intransitif, il y a fusion). Georges Arnaud, d'ailleurs, fit aussi de la radio, puisqu'il fut un homme de médias, un multimedium très humain, un "multimédihomme" donc ... |
|
digression : LA FAÇADE GOTHIQUE
Le meilleur exemple du culte de l'apparence, est sans doute cette
cathédrale gothique d'Amiens (la plus belle selon les
connaisseurs) dont le fronton seul a été
débarbouillé des outrages de la pollution, pour
en faire ainsi un monument de démagogie, en laissant le
derrière sale (... en politique on est
habitué à ce que les gens n'aillent pas trop voir
derrière les simulacres.) Les frontons
latéraux attendent toujours aussi leur ravalement, mais, de
source sûre, on affirme que "c'est trop cher". On reste
songeur quand on pense aux moyens (financiers, mais aussi techniques)
dont disposaient les bâtisseurs da ladite
cathédrale au XIIème siècle (ils
trouvèrent les fonds pour qu'en une
génération le monument soit
édifié, pour la technique ils n'avaient ni
ordinateurs, ni béton armé, ni même de
ciment pour jointer les pierres (inutile) ; mais "quand on
peut, on veut"...)
Quand on dépolluera le restant, ce qui a été nettoyé au début sera déjà à refaire ... (les automobiles notamment n'ayant pas cessé de circuler).
A noter que
déjà le show-biz aidait les grandes causes :
c'est en faisant circuler des reliques (parfois douteuses...
mais "the show must go on", comme dit l'autre) dans toute la
France que les sponsors (la prise en charge étant
effectuée par les confréries et les corporations
des diverses professions) ces cathédrales furent
aidés dans leur "production" par le peuple. Depuis que les
commerçants ont phagocité le travail artisanal,
(ou à vocation éducative, le travail de
pédagogie étant un souci majeur des concepteurs
de cathédrales) il est normal que ce soit l'étal
qui importe, la vitrine qui l'emporte, et que l'on bichonne la
devanture...
(À ce propos il y
aurait davantage à raconter sur ce parvis d'Amiens et la
bétonisation tout autour (quasi tout contre) de cette
Merveille du Monde classée par l'UNESCO, que l'on ne peut
plus voir que par fragments, mais ce n'est absolument pas le propos
ici). (N.B. 12C4 voir le
journal Fakir, qui s'amuse là
)
· L'expérience "outware"
:
("Ici, la poussière c'est de la terre
brisée menu... On finit par apprendre à l'aimer."
["Tropiquissime" Felix Goudart
-Crypt Ed] ).
La problématique reste comment couper ce cordon ombilical
mortifère, qui nous lie à un échiquier
infra-naturel, comment se faire oublier d'un système
communautaire dépravé ? Domestiquée
par le silicium, la planète ne serait-elle pas en train de
suffoquer ?
Mais comment a-t-on pu se laisser dépasser à ce point par l'informatique institutionnelle ?
Et toutes ces sortes de choses ...