tout public-Spécial Nirvana-
 

 respirez (vous êtes sur orbite)

 

 

RAVÍŠŠEMENTŠ
 

 

" NIRVANESQUE, LA CAISSE !" [entendu dans la rue] 

 

"C'est le moment !" On aime entendre cet avis qui met fin à l'attente, tellement on doute parfois de la pertinence des choses("L'heure c'est l'heure etc."). D'autres fois, c'est l'inverse : on dispose d'une certitude intérieure, d'une limpidité retrouvée, innocente finalement, et personne ne nous en fera démordre... On est déjà assez bousculé au fond.

Il faut avoir entendu ce promeneur, ce randonneur plutôt, de passage, qui vous raconte ses grandes marées à lui, et comment il a marché jusqu'à la Tour Rouge ("à pieds secs !" ; jusqu'à la balise pour les marins) pour comprendre qu'à force d'être familiarisé avec les événements, comme une lassitude vous gagne et vous aveugle... Pour lui, le ton est le même que s'il avait récemment marché sur l'eau ; pour vous ce serait un jour ou les coques et les palourdes sont moins chères, bien que très fraîches... Ou encore, avez-vous vu les yeux des suédois le jour où une poussière, pale et rugueuse, s'était déposée sur les autos, les trottoirs, partout, dans les parcs comme dans les rues ? Leurs yeux quand il ont su que c'était le fait d'une tempête de sable dans le Sahara, la veille ?

"Ça, y est, j'ai la berlue !". Il est comme un frémissement de l'âme qui donne un avant-goût du Nirvana. La primeur d'un prodige de la Nature (ou accompli précédemment par des hommes, mais là encore c'est la Nature qui est à l'œuvre...) Une sorte d'Illumination banale mais radicale, toujours associée à la splendeur outrageusement dévoilée, facilement connexe à une certaine satisfaction esthétique. Un tressaillement discret, un frisson inaccoutumé. Un rendez-vous impromptu avec les anges, pour quelques secondes seulement... Délectation furtive, avant que la raison n'y mêle son contentement standard, pour la prolongation souhaitée, dans un ressaisissement enthousiaste mais laborieux. L'Art a d'ailleurs longtemps eu pour unique objectif de traduire avec exaltation ce sentiment intense .. ou de le provoquer. Avec plus ou moins de bonheur … Le cœur plus ou moins " serré "…
Oui, c'est vraiment étonnant comment, lorsqu'on arrive en certains endroits, on se sent happés par le ravissement des précédents visiteurs, confondu au sien (et non pas superposé ; pas de jouissance alternée : une distension raz de marée). Un parfum, de contentement établi d'avance, vous signale l'aubaine. Il y aurait comme l'exhalation de charme d'une invisible hôtesse, un soupir continu, discrètement bruissant comme la brise dans les frondaisons qu'on ne remarque qu'une fois le silence établi alentour, mais qui, là, vous saute à la face. Comme l'exclamation-onomatopée d'une frangine qui se prendrait pour un starlette du dentifrice…
Oui, un enchantement antérieur si prégnant, qu'il vous donnerait presque le tournis. Un éblouissement fugace, conscient, imparable comme le hoquet. (Et qui vous le chasserez d'emblée, si malencontreusement vous étiez parvenus avec, dans ces lieux typiques...) Lieux pittoresques mais sacrés ; où qu'ils soient ; de la cabane en rondins à la cathédrale de Barcelone.

 (Le sacré est censé être ce que l'on met au-dessus de l'importance que l'on s'attribue à soi-même. [ Exemple : pour une mère, son enfant est sacré ] Mais il arrive que ce soit le sacré qui vous attribue une insignifiance, une petitesse si apparente ! Parfois c'est le gamin qui se montre divinement insolent, dans son aplomb fracassant ! L'innocence donne des droits. Toutefois il y a une certaine gratification qui accompagne semblable révélation exclusive, personnalisée ; et l'on trouve un plaisir indéniable, en pareille circonstance, à se dire "qu'on est bien peu de chose" ...) Un sacré boost (pour ne pas dire coup-de-pied-au-cul).

Des lieux propices, des gens aussi (mais ce serait un autre chapitre). Qui vous procurent une part de merveilleux rien que par leur existence. Qui semblent presque extra-terrestres (C'est un compliment : Par exemple : Jeannie Longo 13 ou 14 fois championne du monde à vélo ! Que dire de plus ?).

Il est question ici d'une mise au point entre deux plans, quand la caméra se fixe sur un ectoplasme indistinct, presque invisible tant il était prêt de l'objectif, et que l'on découvre à la place une présence insoupçonnée tandis que le paysage se fonde dans le flou du fond.

Il s'agirait de se réconcilier avec le monde. Tout le monde. Avec la Terre, avec ses frères, avec les voisins passés, présents ou futurs, et avec soi même et son étoile... C'est indispensable pour savourer "le bon temps", au présent, quand il se passe et non pas avec un métro de retard... « Pardonnez-nous [...], comme nous pardonnons ceux qui nous ont offensé » : si le Grand Marcheur a inclus cette sentence dans la prière-type qu'il a bien daigné formuler (la seule d'ailleurs) à la demande des populations agitées, ça n'est pas pour faire un effet de style : c'est pour nous rendre véritablement service. Le Raja-Yoga (Yoga-Royal), ou plus simplement le Bhakti-Yoga (celui de l'amour dans la dévotion) ou le Karma-Yoga (celui de l'action) nécessitent un état d'esprit de présence au monde similaire. Il importe de chasser ses nuages psychiques (les autres étant plus difficiles à joindre ; choisissons la facilité... Les perturbations des proches sont parfois impénétrables) pour voir, en profitant d'une éclaircie, la lumière s'immoler dans les choses, à notre intention... Pourquoi faire rancunier quand on peut faire pacifié ? Pourquoi marcher tordu quand on peut aller droit ?

 


Imposants comme une relique. Consensuels comme le feu vert. Certains endroits semblent tellement "chargés" (à croire que l'accumulation des impressions ravies portée à son maximum sature la matière) qu'ils résonnent d'une admiration unanime, jamais diffractée. Claironnante mais sans fanfaronnade, comme approfondie, par un écho de l'esbaudissement permanent. Soudain : la réponse à une lointaine question qu'on avait oubliée, cinglante brusquerie comparable à l'éveil que procure la sonnerie de l'école à la récréation. (Ou comme le " ding-a-ling-a-ling " d'une introduction de Chuck Berry dans l'un de ses standards du rock' n' roll : les genoux ont leur raison que la raison ignore ...).
Envoûtant sortilège … Caressant par sa chaleur toute d'agrément constituée. Une ivresse presque poignante, une griserie insoutenable là où le trivial n'aurait plus prise ; une délectation anticipée mais aussitôt complètement divulguée. Gratuite, des fois qu'on l'aurait oubliée, déjà la main sur le porte-monnaie.
Comme on peut dire qu'on se sent rafraîchis rien qu'en observant, pas loin de là, les derniers baigneurs courageux sur le littoral en automne, on jubile intérieurement sans raison, on se sent bénis. Pareils à Hercule juste après son douzième travail. Ou idem une petite souris qui aurait percé par inadvertance un passage dans une cave artisanale de Coulommiers.

"On est tous des rois, mais on ne le sait pas
On est tous des élus, mais on ne le sait plus"
(comme le chante un groupe de reggae français)

On se sent comme voués à respecter un serment (toujours informulé, mais circonstancié), qui serait surtout de ne rien contrarier à la seconde présente. Rien ni personne. Finalement, on approuve d'être approuvé, en quelque sorte… " Ne changez rien ! " comme disait le photographe de mode, (le doigt sur la gâchette …)

Ainsi lorsqu'on pénètre dans une cathédrale de pierre, on se sent aspiré vers le haut, saisissement probablement moins inspiré par les connotations rituelles du lieu que par le jeu de la lumière avec son partenaire : le vide, ciselé. C'est presque physique comme conversion. Ou lorsqu'au bout d'un chemin de campagne on aperçoit la mer qui moutonne, on se sent récompensé. Comme la première fois qu'on entrevoit le Sacré Cœur en haut dans le fond, au coin d'une rue, si exotique et si familier à la fois. Un "sublime transport" (cf. Huxley) nous emporte. La beauté nous terrasse par surprise, sans préavis de " grève du zèle ", incroyablement tacite, comme souvent les chefs d'œuvres, qui semblent aller de soi. Merveilleusement contagieuse. C'est aussi pour cette raison que si une chorale peut provoquer "la chair de poule", le frisson procuré par ces chœurs est bien plus fréquent "en live", en présence réelle des interprètes, le dimanche dans une chapelle ou une crypte.
 Le syndrome de Stendhal*, remarqué à Florence en premier lieu, (lorsque plusieurs fois dans l'année, quelqu'un sortait de l'une des merveilles à visiter et se retrouvait, seul, sur un banc ou errant dans la rue quand il n'était pas trop estomaqué, sans se souvenir de l'adresse de son hôtel, ni même parfois de son nom...) n'a pour l'instant pas d'autres explications qu'une overdose d'harmonie éprouvée, par de multiples mortels, toujours présents à ces même sites, connus ou confidentiels.
On se trouve positivement affecté par cet esthétisme submergeant. L'harmonie (mais les mots manquent en pareil cas) ne fait aucun doute. La grâce est implacable. Quand elle est de toute beauté, la pierre chante comme un solo de guitare du Led Zeppelin des familles (ou des Eagles, parmi les musiques qui ont déplacé des montagnes, des tombereaux de victimes consentantes...)

 

Dans ces contrées les gens portent en permanence un sourire presque complice, c'est un indice, ce point commun de ceux qui ont vu. Il y a une connivence, comme lorsqu'une odeur de crottin perturbe l'environnement stérile du bitume : on sait. On attend avec autant de fébrilité que de frustation le moment où la terre entière partagera ce secret un peu lourd à porter : contre la morosité il existe de multiples détonateurs/catalyseurs, des soins palliatifs naturels, il suffit pour s'en rendre compte de ne plus avancer les yeux fermés.

Il y a une notion d'inéluctable qui saisi, lentement mais sûrement, les entrailles, en douceur juste pour prouver qu'on ne rêve pas. Les genoux plutôt, qui se cabrent dans leur inutilité. Comme un chien qui reste attentif, une patte en l'air, marquant " l'arrêt ", c'est-à-dire presque le départ. Ou tel le chat, qui sait avoir l'air parfaitement crétin de temps en temps, les yeux écarquillés, le cou tendu et la queue en point d'interrogation. Tous les mystiques le disent : c'est jouissif sans être obscène (rappel: obscène signifie "de mauvais augure"). Bien au contraire. Comme il existe un point de non retour dans certains domaines, là, il vaut mieux faire l'apprentissage de la compréhension du point de départ. Le mécanisme d'incitation, de déclenchement fortuit, opère sous nos yeux depuis quelques dixièmes de secondes seulement. On rechercherait les instructions, avec avidité presque, si l'on ne discernait quelques rudiments innés, acquis " dans nos gènes ", disons " l'instinct d'implosion " (à moins que ce ne soit " l'éclatement " comme on dit aussi pour parler du même processus de dépassement de soi, de sa capacité à être dépassé par les événements avec agilité et humilité). On a perdu le mode d'emploi, mais la règle du nouveau jeu semble bien plus attrayante. C'est parce qu'il n'y a rien à apprendre : la partie est commencée, il suffit de s'y glisser, le règlement est extérieur, il marche tout seul. On suppute que le jeu en vaut la chandelle, parce qu'il dure depuis si longtemps que le contraire se saurait… Et puis si on peut en avoir un aperçu, tout de suite, au coin du bois… Un échantillon gratuit. Comme si " c'était écrit ", comme si c'était réglé d'avance par un généreux inconnu qui aurait effacé votre " ardoise " chez Yvon la veille.
On est captif d'un mur de coïncidences, émollientes à souhait ; l'intérieur et l'extérieur sont prodigieusement en phase. On capitule devant la force du non-dit, décillé debout, défait de la tête aux pieds, élucidé comme un ciel d'août, une bonne fois pour toute… Croit-on.
L'homme canon serre les dents. Vous pas. Comme Droopy : " I'm happy " dites-vous.
La tête encore pleine des cloches vrombissantes de l'angélus, démultipliées par les échos du labyrinthe architectural, on réclame l'aman (la dispense de peine de mort pour les incroyants, dans l'islam hardcore, mais clément) avec l'intuition d'être exaucé en même temps qu'on formule la requête. On se dit aussi qu'on ne devra plus rien demander à personne, plus rien exiger de plus ; ne plus jamais quémander, ne plus commander (dans les deux sens du terme). Plus la peine.
" Love me tender ". Elvis Presley a rangé sa Chevrolet et pousse le gospel avec le chœur des anges (qui sont toutes ses groupies en fait). (Une anecdote qui a un rapport : Un jour il doit passer dans une émission pour un titre doux, romantique (avant l'invention du play-back (ou de la bande play-back instrumentale), et il entend la voix féminine qui l'accompagne (seule, dans un orchestre succinct, et, comme en transe : littéralement promenée par la musique, dans un contre-chant magnifiquement libéré). Ce fut plus fort que lui : un fou-rire le gagna, et il n'a pas terminé correctement son enregistrement (car le titre fut joué en entier : "the show must go on"). Honte à lui ! Mais en même temps, bravo ! D'avoir été si humain, malgré toutes les pressions du show-biz, malgré le magnéto, malgré la peur d'être pris pour un demi-dieu). Un "pro" n'en est pas moins un improvisateur...

 Principe hindou de la bougie cher à §Coluche : avec une flamme tu allumes toutes les bougies que tu veux° sans que la première n'y perde quoi que ce soit. ( °les " émanations plénières " issues de Kršna le Premier, différentes des jiva-s : humains épuisables ["près de leurs sous" {monnaie virtuelle} pour le charisme on repassera], ou des deva-s : animaux plantes etc. donateurs non volontaires [?] )
(cf. La Forme arca offerte par le bhakta en sculpture ou en peinture dans le bhakti-yoga, le yoga de l'amour). Un Art à la fois très ambitieux (éclairer le monde) et remarquablement modeste (on donne tout, ce qu'on a de glorieux, de lumineux) presque rudimentaire, limite occulte
(= qui n'est pas signé, revendiqué individuellement, autorisé cf. Amélie Poulain qui ne préfère se cacher pour aider les gens )

Le Nirvana c'est comme une langue étrangère : on y est plus à l'aise quand on a déjà effectué des séjours chez les autochtones, sinon on s'exprime comme avec des cailloux dans la bouche ... Mais les raccourcis (prescience artistique, chimique, environnementale etc.) direct vers le Nirvana n'ont qu'un inconvéniant : ce sont des billets aller-retour obligatoires. La conduite accompagnée, c'est plus cool... La supériorité de l'abeille sur le guêpe (ou son avantage sur la mouche) c'est qu'elle sait déjà où aller, d'autres lui ont dit avant, à la ruche ou en chemin, où l'on peut se rendre pour trouver des fleurs (c'est leur grande passion à toutes, les fleurs).

que sont devenus les marsouins ?

 


Pendant ce temps (durant les ablutions) une grande part de la population fait remonter l'enfer hors de son magma : Pétrole, sang de la Terre, la grande muette qui lèche ses plaies de ses vagues salées, infatigables, tenaces face à la bêtise humaine ; le charbon, combustible de l'enfer, qu'on envoie en l'air, par le trou d'ozone… ou par la Poste, (dans ce fantasme commun aux médias et aux terroristes, qui ont d'autres chats à fouetter que de s'occuper du coefficient de jouissance praticable dans le nirvana usuel). C'est ainsi : le paradis est ici mais on se le cache
, le plus clair de notre temps. On lui fait porter un masque, fulminant par nos comportements oiseux et récidivistes, le plus souvent.

" Inattendu mais espéré " [Arhur H]. Le bonheur ne prend pas toujours la forme que l'on attendait.

Ce qu'on pourrait reprocher aux religions, c'est qu'elles vous prennent toujours un peu pour des cons, (passez moi l'expression). Alors que ce n'est pas vrai : on n'est pas con tout le temps. Par moment seulement. Avec elles le problème de l'humanité est dualiste : les pécheurs ou les saints, les talibans ou les mécréants, les sannyasin-s (ceux qui renoncent au monde pour Réaliser Dieu) ou les Intouchables. Chacun sa caste. En religion il y a les loosers ou les loosers (perdants dans la vie ; ou perdants volontaires : vœu de pauvreté etc., volonté de quitter ses dépendances matérielles). Les prêtres, gurus et autres professionnels de la foi seraient les exceptions qui confirment la règle (les règles). De toute façon on est toujours le con de quelqu'un d'autre (comme le montre le film " dîner de cons ", à titre indicatif). On peut tous avoir des éclairs de génie, ou des fulgurances de connerie. Un flash extatique, un embrasement inspiré, ou hélas, la conviction-éclair d'avoir fait une ânerie. Le feu monte aux joues au fur et à mesure que la clairvoyance insidieuse d'avoir laissé passé sa chance se dessine dans les neurones mal rassemblés. Non, la certitude de ne pas avoir raté le coche, est la première lucidité qui affleure quand on met un pied dans le nirvana.

« Tôt ou tard la certitude sourit à ceux qui ont souffert de ce qui en a l'air » ["F.G. "Post Cryptum"]

La religion idéale serait celle qui vous donnerait des armes pour dissuader la bêtise (dysfonctionnement toujours possible) de vous tendre une embuscade. Qui vous aiderait à être prêt, le moment venu d'être gâté. D'être " aux anges " (encore eux ! "... c'est à croire qu'ils nous suivent") après les aléas, après le banco ; et non pas avant, comme un imbécile heureux, satisfait de tout, qui ignorerait que l'imagination peut jouer des tours. Ce sont des pratiques (des rituels si l'on veut) qui assurent de ne pas être dans la lune quand le destin vous déroule le tapis rouge. Et surtout d'être en pleine possession de ses moyens quand la passerelle s'effondre… (Dès l'origine "chrétien" est vite devenu péjoratif ; ça a donné " crétin " parmi les villageois, pour signifier un nouveau type de comportement : celui de sourire à tous, et de trouver la vie belle, par dessus le marché ; mais c'était affectueux de leur part…) La chance est bonne poire, elle vous tape dans le dos quand vous vous y attendait le moins. La providence ne frappe pas avant d'entrer. Elle balance son riff, à côté duquel l'intro de la 5ème de Beethoven n'est que de la guimauve...



[Sadhana : pratique spirituelle]. Faire fi de sa pesanteur, rien qu'une fois de temps en temps, est un vœu légitime. S'affranchir de l'inertie : un souhait plus facilement exhaussé que le moindre de nos désirs ne sera comblé. Le Sadhu (aspirant spirituel) est semblable à un amoureux, et il ne sera pas systématiquement éconduit. Ça met du baume au cœur de se sentir, si ce n'est désiré, pour le moins apprécié. Comme on apprécie une distance … A priori, Gaïa aime tout le monde, sans autre a priori. Sa Maman aussi.
Il fait nuit tôt sous les tropiques, alors on sort vers 18, 19 h pour assister au coucher de soleil, comme on va au cinéma. On ne regarde pas forcément le disque d'or plonger, mais plutôt les déclinaisons improvisées avec les nuages et les premiers plans. "Il y en aura pour tout le monde !", ça change tous les jours et, selon les endroits, ça le fait plutôt bien. On pourrait choisir un autre astre, mais par chez nous c'est ce qu'il y a de plus large, c'est mieux.

Face à une Forme Resplendissante, et communicative, on réalise combien la Paix est truffée de vitamines ; et comment l'extase a la couenne endurcie, toute calleuse de la satisfaction perpétuée. Les anciens nous mettent en garde au sujet des Samskara-s : tendance(s) acquise(s) lors d'une expérience antérieure, impressions de "déjà-vu" plus ou moins fondées (augmentées d'une mémoire des vies antérieures à laquelle ils croient). Le nirvana ne correspond à rien de connu, alors oubliez... C'est un truc pour des "absolute beginners", des néophytes perpétuels. Il convient de se présenter vierge, naïf, à la porte du ravissement (comme il est impératif de se pointer innocent au Jugement dernier pour le transit au Paradis. La différence, c'est qu'on peut amener sa carcasse de baroudeur en état de marche, au Royaume qui n'est pas de ce Monde (cf. Jesus) ou au Nirvana, tout au moins pour un moment). On en aurait vu au pied du mur, devant l'Indicible, par exemple sous le fascinant spectacle d'une aurore boréale, dire : "ah, wouai, je connais, c'est super !" et retourner lire leur journal. On a intimement conscience des couleurs acidulées aux nimbes du Nirvana où rien n'est simple, mais où tout est évident ; et l'on devine à quel point le bonheur se suffit de rien. Et alors on se contente de, peu ou prou, la perfection ; ultime abnégation, la dernière des concessions. On accepte l'Idéal, sans regret...

On ne manque de rien. (Pas de dépendances, ni d'accoutumance - [ce qui est différent] ). Ni sucreries, ni tabac, ni ordinateur, ni vibro-masseur, ni figue, ni raisin ... conditions sine qua non abusives pour "faire son bonheur"). Le plaisir à l'état brut.

Ce qui est encore plus formidable c'est qu'on dirait que les évocations (visuelles : le regard mobilise 80% de l'attention, mais parfois auditives, musicales comme le chant des baleines) venues des profondeurs de la psychée semblent franchement universelles. Les musiques "folkloriques" de partout ont un air de famille au premier abord. Bretonnante comme Wolof, la litanie enveloppe les esprits chagrins. Les graphismes celtes ou hindous se recoupent parfois sur des tatouages faussement naïfs (ne parlons pas de la svastika nazie qui n'est que pur plagiat germanique de l'hindou). Notons que les psychotropes ont partout, et de tous temps, amplifié, catalysé, voire normalisé, ce patrimoine commun des cultures de la planète : l'architecture arabisante peut se retrouver de Moscou au Colorado, le haschich aidant... Egalement, tous les expérimentateurs de LSD (rappel : il fut une époque où celui-ci était fabriqué par un célèbre laboratoire pharmaceutique, dans l'intention de reformaté l'esprit humain sans doute, tandis que la marijuana était plutôt hors-la-loi dans cette même partie du globe) qui écoutaient Jimi Hendrix, avaient un rendez-vous dans ces même paysages électriques, comme dessinés par ce métis inspiré, virtuose de l'ellipse psychédélique. Selon leur dire ils entraient, pour la plupart, de plein pied dans des hallucinations provoquées, et similaires, même sans concertation (ex: Jimi ayant été parachutiste en Corée, il fit pratiquer la chute libre à moult tripeurs...)
Il semblerait que là où la splendeur appréciée quelque part perdure, par l'émotion éprouvée par les témoins, elle s'installe dans l'intelligence du monde, à un point tel qu'elle semble immanente. On se trouve bête de ne pas être "au courant" et l'on acquiesce devant la vérité du spectacle, qui nous dépasse d'avant et d'après notre visite. L'éternité nous cligne de l'œil, on la devine complice et éloquente.
Eternelle, comme ces sacs en plastique que l'on retrouve jusque dans les estomacs des dauphins échoués sur nos plages...

Une bonne étoile, [...] on la sent quand elle vous regarde, même de dos ...
A l'inverse, dans des régions comme le Pas-de-Calais ou la Picardie, sinistrées par deux guerres mondiales, certains endroits semblent infiniment en deuil même si aucun cimetière n'est apparent, et la population victime de sidération a du mal à entreprendre... Ce qui est le cas pour tout le pays en fait, obnubilé mais piétinant ; pour toutes les patries saignées par une (ou plusieurs) guerre(s) ; et ce n'est pas "l'effort de reconstruction" motivé par le profit qui réparera les plaies psychiques (on serait tenté de dire, au contraire, le deuil étant privé de ses rituels). Mais il est surprenant de constater que dans une ville comme Amiens, (entièrement rasée pendant la guerre sauf dans le quartier au pied de la cathédrale, avec le monument lui-même miraculeusement debout), lorsqu'on passe sur le parvis à certaines heures du soir, quand les statues prennent une couleur saumon et que l'édifice semble respirer en frôlant les derniers nuages attardés, les passants chuchotent en arrivant au coin du bâtiment (d'où l'on est plus proche de la magie de l'ouvrage que sur le parvis séparé par des marches).
Pourtant cette ville a beaucoup perdu de son âme depuis que son vieux quartier a été "réhabilité", restauré sans garder ses bois et paillis ni ses fontaines de rue, et que surtout elle s'est vue effrontément bétonnée mètre carré par m2, jusqu'à quelques milliers de centimètres du coin de cette merveille gothique la plus exemplaire. Mais, malgré la trivialité ambiante, le chuchotement s'impose spontanément en pareil cas … Le spectacle étant décidément trop croquignolet (terme désignant une chiquenaude : nous sommes littéralement bousculés, devant tant de flamboiement !)
Oui, il suffit d'une pichenette pour que l'homme redevienne un bienheureux, élu de la Nature reluisant comme un sous neuf, ayant cette faculté d'être ébaubi par l'univers sensible, plus souvent qu'à son heure. Le miracle, ça n'est pas tant de faire chanter la pierre, pleurer la toile, chatoyer le son, ou d'enflammer le cristal, le miracle c'est de le voir dans les yeux de son coéquipier (nous sommes tous co-pilotes du vaisseau Terre), de partager le ravissement sans mot dire, et se laisser partir avec, enroulés dans la spirale mirobolante.

Mais quand ce sera l'heure du Nirvana, le lascar n'en parlera plus sans doute : il le foulera gaillardement ("cho diseu grin faiseu") ; les pieds dans la galaxie, et dans sa tête bien surTerre ...



*
Trop de bonheur ; ou l'angoisse que ce bonheur cache quelque chose de tragique. Comme le šilence effraie parfois, ou fait šoupirer d'aise d'autres fois.
Il faut se préparer, pour le Nirvana ! Quand le feu passera au vert, il sera de bon ton - de ne pas rester sur son derrière
(si on est dromadaire) ...

 

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