"Aujourd'hui on ne peut pas
travailler en société (...); il faut le
faire dans la solitude, comme un homme qui ouvre une brèche
dans la
forêt vierge, soutenu par l'unique espoir que, quelque part,
dans les
fourrés d'autres travaillent à la même oeuvre."
Ernst Jünger (Le Cur Aventureux)
Passager
Ce qui est commun entre les corses
et les bretons (qui chantent ensemble pendant que j'écris...)
comme dans tous les chants "ethniques", "folkloriques"...
c'est le silence qui les enrobe, les élans (ou les
hallus...) qui les sous-tendent, la révolte sereine
qui les soutient ... Sans se concerter, depuis la nuit des temps,
ils sont arrivés (quasiment) au même résultat
! (Les mêmes incantations, litanies du spleen ou appels
au mouvement, deuils ou farces ...)
Le voyageur est solitaire, son chant participe
d'une rupture ... Il consent. Sans céder. Il arrive du
dehors, du nié adoré, du néant passé,
pour se poster dans notre propre extérieur. Visiblement,
il accepte de changer de réfuge, comme un
Bernard l'Ermite. Sortir de l'abri de son "immobilisation"
préventive, par une mobilité calculée,
sans aucune fuite irréversible de son exil intérieur.
Le grand voyageur apporte toujours son asile avec lui.
Son armure éprouvée, en dernière instance,
le distingue des autochtones débraillés.
Admission droit devant, comme dans une auberge espagnole où
l'on ne trouve que grand renfort de préventions, et placards
vides...
Honnêtement, la FUSION est
volatile, délicatement ponctuelle (sinon elle rend
vulgaire), mais l'UNITé demeure exaltante, recherchable.
L'individu ne sera jamais qu'une racine carrée ... des
multiples solidaires. Déclinaison impériale ...
("Décliner l'offre" fusionnelle ou unitaire,
c'est devenir dispendieux, gabegique, c'est se prodiguer
à outrance ... Mais s'offrir en pitance, "ça
ne mange pas de pain", ça force à nécessiter
une bonne constitution, sans sous-évaluation déraisonnable...)
{ Le journaliste, le badaud,
le voisin, le contractuel, et le professeur, comme l'historien
ou le chercheur parfois, commentent. Le passager,
artiste véritable de sa trajectoire, quant à lui, sort
du néant. Il extirpe ex-nihilo, de son "quant-à-soi",
une colombe ou un lapin. Il apprend. (Comprendre, à savoir
: c'est une gazette ambulante, et une éponge itinérante
alternativement.) Il s'apprend à enseigner, et
s'enseigne à apprendre !
Comme un frère,
cet Autre consanguin : il sait notre intimité, il connaît
la matrice, mais n'en dit mot. Il est occupé à vivre
sa vie. Forcément exemplaire. Unique, la vie ! Avec
prise universelle, donc (en option). }
Apprendre quelque
chose, donne toujours l'impression de perdre autre chose" (réplique du film "Major
Barbara" de Gabriel Pascal - 1941)
L'hospitalité est LA valeur sacrée dans la plupart
des civilisations (dignes de ce nom).
Les habitants du désert n'ont parfois rien de mieux
à offrir que de l'eau, mais refuser l'hospitalité
au nouveau-venu c'est condamner à mort. Tandis que les
mégalopoles proposent fast-foods ou 4 étoiles,
si ce n'est qu'on y a perdu le sens même de l'hospitalité,
sa racine profonde d'humanité.
(Mais l'Hospitalité -physique
et mentale-, c'est bien plus que la paix ! Dommage que ces mots
soient si galvaudés (quand ils ne sont pas omis) ...
Visiter/Héberger : Il faudrait un synonyme synthétique
impliquant cet abord mutuel, cette intervention consentie :
"accueil", "veillée", par exemple,
jumelés avec "intrusion", "immixtion".
Pour que ce qui "concours" puisse être équilibré.
Inclusion/Extrusion ad lib. Fort heureusement le substantif en
la qualité d'hôte désigne
aussi bien le visiteur que le visité, indifféremment,
et c'est tellement plus pratique en cas d'affluence ...)
Le Chevalier Errant connaît
le prix de la disponibilité, il sait le coût du libre-échange :
c'est pour ça qu'il chante. Par respect pour ses hôtes. Pour
prouver la paix. (Pour "se mettre à
table", il convient d'être capables d'écouter
également. Mais c'est une autre histoire ...)
(Avant de pouvoir rassurer
il faut bien avoir assurer.
Et c'est en assurant qu'on devient trublion ...)
Citations
Outwared :
Le recours aux Forêts...
"Une sortie volontaire
du cercle, du milieu;
une mise à l'écart, loin de la tyrannie des excitations
qui nous condamne à ne dépenser nos forces qu'en
réactions
et qui ne permet plus à celles-ci de s'accumuler
jusqu'à une activité spontanée".
Nietzsche
La Volonté de Puissance
"La solitude, pour
les uns, c'est le refuge du malade;
pour d'autres, elle est un refuge
à l'abri des malades".
Nietzsche
Ainsi parlait Zarathoustra
"J'avais inventé
une forme de désintérêt
qui ne me reliait à la réalité,
comme une araignée,
que par un fil invisible".
Ernst Jünger.
"- J'imagine qu'un
sage, tels les vieux taoïstes,
pourrait faire plusieurs fois le tour du monde
à l'intérieur de sa maison, sans jamais sortir de
sa cellule.
Ce serait un vrai sage.
- Il en sortirait par le rêve.
- Plus remarquable : il en sortirait par la pensée".
Marguerite Yourcenar
Les yeux ouverts, entretiens avec Matthieu Galey
"Personne ne sait
mon nom,
et personne ne connaît ce refuge".
Ernst Jünger
Mettez-vous plutôt
à l'écart !
Fuyez vous cacher !
Et ayez vos masques, de sorte qu'on vous confonde avec d'autres
!
Et n'oubliez pas le jardin, le jardin au grillage doré
!
Faites le choix de la bonne solitude.
La solitude libre, malicieuse, légère,
celle qui vous donne même le droit de demeurer bons en quelque
manière !
Nietzsche : Par delà bien et mal
Soyez l'ami ou l'ennemi du
pouvoir, croyez blanc ou croyez rouge, mais
croyez. Si vous vous contentez d'observer tranquillement en sceptique
déterminé ; si vous restez en dehors des luttes
qui vous paraissent
secondaires ; ou si, même en étant d'une faction,
vous osez constater
les défaillances et les folies de vos amis, on vous traitera
comme une
bête dangereuse ; on vous traquera partout ; vous serez
injurié,
conspué, traître et renégat ; car la seule
chose que haïssent tous les
hommes, en religion comme en politique, c'est la véritable
indépendance
d'esprit.
Maupassant
"Il faut pratiquer un
subtil travail non d'opposition, mais de
différenciation, à l'intérieur duquel on
s'installe, observateur et
songeur, méditatif et distrait. Abri fantasmatique, sorte
de tente
invisible aux autres et qui se monte et se démonte en un
souffle".
Chantal Thomas Comment Supporter sa Liberté.
"Comme je n'ai pas
réussi à rendre les hommes plus raisonnables,
j'ai préféré être heureux loin d'eux".
Voltaire
"... il existe sans
doute au coeur de Manhattan des gens qui se
débrouillent pour mener une existence aussi indépendante
et érémitique
que le prospecteur errant à travers la toundra recouverte
de lichen que
A. Y. Jackson aimait tant à peindre au nord du lac de la
Grande Ourse.
Tout est donc probablement question d'attitude".
Glenn Gould : Contrepoint à la ligne
"Tout à coup,
il m'est devenu indifférent de ne pas être moderne".
Roland Barthes
"Chaque individu est
en mesure de produire en lui-même une sorte de
révolution froide, en se plaçant pour un instant
en dehors du flux
informatif-publicitaire. C'est très facile à faire;
il n'a même jamais
été aussi simple qu'aujourd'hui de se placer, par
rapport au monde, dans
une position esthétique : il suffit de faire un pas de
côté. Et ce pas
lui-même, en dernière instance, est inutile. Il suffit
de marquer un
temps d'arrêt; d'éteindre la radio, de débrancher
la télévision; de ne
plus rien acheter, de ne plus rien désirer acheter. Il
suffit de ne plus
participer, de ne plus savoir; de suspendre temporairement tout
activité
mentale. Il suffit, littéralement, de s'immobiliser quelques
secondes"
Houellebecq
"Je ne sais pas quelle
serait la bonne proportion, mais j'ai toujours eu
une sorte d'intuition selon laquelle pour chaque heure passée
en
compagnie d'un autre être humain, on a besoin d'x heures
seul".
Glenn Gould
"Aujourd'hui on ne
peut pas travailler en société (...); il faut le
faire dans la solitude, comme un homme qui ouvre une brèche
dans la
forêt vierge, soutenu par l'unique espoir que, quelque part,
dans les
fourrés d'autres travaillent à la même oeuvre."
Ernst Jünger (Le Coeur Aventureux)
"...c'est la désaffection,
cette lassitude ponctuelle qui monte de nos
sociétés (et touche jusqu'aux décideurs,
investisseurs, banquiers) face
à la surproduction insensée, la camelote entassée
dans les vitrines, le
mercantilisme nauséeux, l'ébriété
publicitaire; c'est le salutaire "à
quoi bon ?" de ceux qui ne comprennent plus le sens de ces
pseudo-richesses. (...) Ce qui s'installe tout doucement, c'est
moins un
idéal de révolution que de détournement.
Etre "anticapitaliste", c'est
d'abord cesser d'être obsédé par le capitalisme,
c'est penser à autre
chose. Plutôt que d'être contre, pourquoi ne pas être
à côté, se
dérober ?. L'on déserte en déplaçant
les signes du luxe, du moins à
titre individuel : le temps libre plutôt que les gros salaires,
la
méditation plutôt que la frénésie,
la vie de l'esprit plutôt que la
fièvre commerciale, les petites sociétés
à la place du grand monde, la
réclusion avec des amis plutôt que la solitude dans
la foule. Bref, le
retrait savamment dosé, une contradiction lucidement acceptée
: des
niches de beauté, de silence, de culture, une subtile schizophrénie
qui
permet d'être dedans et dehors, de se déprendre sans
s'éloigner, un exil
intérieur".
P. Bruckner