Objet : Le
débat rock/jazz a pris une coloration un peu manichéenne
: les bonnes ou les mauvaises musiques, l'objectivité
impartiale des médias ou leur connivence avec les marchés
: choix justes ou corrompus ?
Comment un titre de Nino Ferrer peut-il séduire à
la fois les amateurs de r'n'b et le grand public ? NRJ est-elle
une "radio libre" ? etc.
En fait je crois que
le vrai problème, si crucial, c'est que les médias
ne peuvent parler que de ce qui existe, de ce qui est présentable,
et que la créativité est plus souvent tuée
dans l'oeuf qu'on ne l'imagine ... Si c'est vrai de la politique,
c'est vrai de l'Art aussi ...
A l'évidence,
il conviendrait souvent de faire son deuil de ses idéaux,
comme de ses inspirations à exercer son art en gardant
la tête hors de l'eau...
...
Alors honneur au mis/expected, respect pour les backdoor men
!
Regardons la crise
en remontant ses racines :
Il existe peu d'activités où l'orgueil trouve où
se nicher autant que dans la pratique artistique. Où l'amour
propre soit autant à fleur de peau, où le sens
du sacrifice comme la soif d'approbation se nourrissent mutuellement
à ce point, où le besoin de l'Autre, épidermique,
soit une constante aussi fondamentale. La fierté peut
être un moteur, mais l'ariste plus que tout autre sait
qu'elle vient toujours après l'action, au bout de l'élan
...
Dans ces conditions il semble évident que le simple fait
de demander l'autorisation de travailler, d'envisager quasiment
de mendier son existence, de quetter son droit à être
épanoui, puisse paraître incongru. Impossible. Avec
si peu de précautions, dans pareil contexte hostile, la
prétention avance à découvert, et l'espoir
sied mal à l'écorché vif, vulnérable.
Alors insidieusemlent se recroqueville le goût de convaicre.
" S'il faut se justifier avant de commencer, autant rester
chez soi " semble une nouvelle évidence à
mettre en pratique, validée par l'économie de cette
énergie chérie, que l'on craind de gaspiller. Bien
vite, on est facilement enclin à faire dans le confidentiel,
spontanément.
Il faut savoir que le non accomplissement
orchestré de vocations (musicales, chorégraphiques,
littéraires ou plastiques etc.) conduit invariablement
à un chaos intime :
oublis récurrents des inspirations
théoriques,
sédimentation opaque des expérimentations novatrices,
délocalisation éclatée des archives,
précarité éprouvée de la connectique,
éparpillement des approches pratiques non finalisées,
abandon des prérogatives face aux institutions hiérarchisées,
etc.
Bref : prises de tête, on baisse les bras, une fois pour toute (la vie est courte).
Suite à la rupture
ardemment souhaitée de l'isolement, une fois la moisson
faite, arrive le besoin d'un break dans l'effort de reconnaissance
...
Comme la mouche contre la vitre qui s'accorde in fine des pauses,
et ne saisit même plus l'opportunité dès
lors que la fenêtre est ouverte.
Une inertie de fourmis qui étoufferait l'oeuvre de la
cigale, avant toute maturation (dans l'esprit même du créateur
parfois).
(Sans parler du non suivi des technologies ; par exemple :
l'analogique n'est pas toujours remasterisé en numérique).
Quand bien même ce chaos
serait évité, il reste, en plus du doute usuel
et légitime,
la psychose du paria,
la sécheresse spirituelle et
la faiblesse technique induite par la non-pratique, par la non
irrigation mutuelle (proposition candide / feedback d'un public)
primordiale : ce sont les "adeptes" (les amateurs conquis)
qui forcent l'excellence de l'artisan, pas vraiment les experts
et sûrement pas les comptables.
Au bout du compte, l'expression se faufile entre la ringardisation
et l'autothérapie libératrice forcée (pour
ne pas dire forcenée), plutôt que l'exploration
d'imaginaires ...
Un insecte ("[...] je ne suis
qu'un moustique" - JLA dans le meilleur titre de Telephone : "C'est
facile" - ) dans le bocal sucré : plus
il s'agite moins il a de chance d'en sortir.
Le pérenne est mortifié
(les fabricants ne fournissent plus les pièces).
L'Art Officiel, goguenard,
est tout de cynisme. (Champagne tiède).
L'activité artistique commerciale est toute en surface,
et "jetable" comme des assiettes en cartons & gobelets
en plastique (de Cola éventé).
Reconnaissons-le : Les
artistes qui pourraient être excellents sont soit inconnus,
soit en deçà de leur potentiel de reconnaissabilité
(mal produits), soit propulsés mal finis (dans leur caractère
en particulier) ...
"C'est moyen" resterait très péjoratif,
quasi insultant, si l'on n'était en médiocratie
avancée ... où les extrêmes sont élagués,
la saine révolte jugulée, la conformité
de rigueur, l'inédit nivellé par le milieu (le
Milieu ? Ce microcosme cher à Sinatra, qui empêcha
si facilement la carrière de Montant aux USA.) à
90 % ...
(cf. Technique de l'arbre-qui-cache-la-forêt, (admettons
que le reggae soit Bob Marley, et le Blues : Clapton),
mais pas en ayant le droit d'appauvrir artificiellement le sol
autour de lui (la Jamaïque a engendré plusieurs générations
d'artistes brillantissimes, et le Blues ne tient pas sur un linéaire...
Par ailleurs, j'aime bien Mickey 3D, mais je crois qu'eux-même
doivent penser que leur succès en 2004 est disproportionné
- sans s'en plaindre, bien sûr.)
Malheureusement, la rivière
a le temps de se tarir si l'on attend après les professions
péri-artistiques (intermittents englués, producteurs
à côté de la plaque, distributeurs crispés
sur le MP3 etc.) Sans Raoul Breton, Eddy Barclay
et d'autres, nous serions face à l'electrophone comme
un poussin devant son omelette ... (Sans son père, Amadeus
Mozart ne nous aurait laissé aucune note ).
No way. Pas de chance. (Ni de malchance : le black out. Les oubliettes
du karma ? Place aux clones !)
(... Je n 'ai pas vraiment d'exemple en tête là,
à part peut être : G. Bécaud et son
Opéra achevé (dans tous les sens du terme), Lambert
Wilson qui profite de ses cachets hollywoodiens pour produire
ses récitals polyphoniques, à peine dispos enregistrés,
j'en passe et des meilleurs ...)
Il suffit d'écouter les récits de gens parfois
très connus, lorsqu'ils s'épanchent sur leur cursus
: ça craint. Au cinoche plus qu'ailleurs... (pour la sculpture,
la gravure etc on oublie !)
Je vous le dit : on a déjà eu du bol d'avoir les
Shadocks avec Pierre Schaeffer , le Tommy des Who,
l'équivalent des Kinks, la Messe pour le Temps
Présent de P.Henry, ou simplement Nougayork et
sa suite, et les disques de Michel Jonasz *, le retour
d' Henri Salvador ... ou le départ de Capdevielle
(qui squattait la FM)
Bien sûr, dans
cette fonction de robinet des médias tout dépend
de qui ouvre ou ferme (... Et le fait que le diffuseur soit,
le plus souvent, le financeur du "produit" à
exploiter, y compris par la diffusion des travaux connexes, donc
qu'il se donne du plaisir (de la tune) tout seul dans cette économie
masturbatoire, foncièrement stérile, est accablant
sur sa sincérité présupposée) .
Mais nous pensons que
le net palliera à ça.
- CARTONNER
: TENTER
D'ESSAYER ...
Quoiqu'il en
soit une chose est sûre : c'est que "le plus dur est
de se jeter à l'eau !". On peut appréhender,
momentanément, de se fondre pour la masse ...
C'est notablement
éprouvant de marcher sciemment en dehors des sentiers
battus, c'est fatiguant dès le départ de ne pas
avoir de modèle (et de n'en pas chercher, et/ou de les
oublier volontairement, à la longue, l'expérience
aidant).
Et ce qui renforce l'égo (suffisemment inconscient pour
pouvoir se lancer dans pareille aventure : auto-apprivoisé
et blindé), l'énergie qui conduit à sa valorisation
est forcément prise quelque part ailleurs ... Chez les
autres, bien sûr, en récompense d'avoir bien tenu
le gouvernail, mais aussi en soi ... au détriment de l'inventivité
captée dans le désert, de la folie calculée,
et de la rage canalisée qui font le quotidien utile d'un
créateur.
L'artiste est la gaine autour des flux capricieux. Flux
libidinaux, psychiques, sociaux-économiques, philosophiques,
et politiques passent tôt ou tard par le prisme de la culture
du moment, donc par les arts, via les sciences.
Un ego à géométrie variable, un surmoi en
chantier perpétuel, un subconscient à fleur de
peau, une révolte sereine, en constante déviance
contrôlée ... Tous attributs qui ont toujours rendu
difficile la vie intime de l'artiste. C'est pourquoi il semble
crucial que l'investissement personnel soit pris en compte dès
l'adolescence et que la maîtrise soit expérimentée
aussitôt après. Les trophèes pour glorifier
une carrière ont malheureusement bien besoin du cursus
antérieur pour se justifier. L'artiste doit pouvoir
mener sa barque sans se justifier (socialement parlant, son
seul complice restant son public), et cela lorsqu'il est au meilleur
de sa forme !
(On peut bien sûr se trouver jeune, et être "dans
le cake" ; et être vieux et se trouver au top de ses
capacités ... Question de circonstances ! N'empêche
que l'on fabrique plus souvent du vieux avec du jeune que le
contraire : la redemption n'est pas donnée, comme ça,
à tout le monde ... au coin de la rue.)
Les conservatoires (comme diverses écoles longues et onéreuses)
sécurisent les parents, mais entravent la créativité
du novice, le plus souvent.
Les créatifs
répugnent à se sentir redevables. Leur carburant
est pris aux étoiles, ou puisé dans l'enfer, mais
sans facture apparente, sans règlement de comptes. On
ne consume pas au vu et au su de tout le monde, ça ne
se fait pas. On offre plutôt le résultat de l'opération
alchimique au savoir d'autrui.
La force de la jeunesse, c'est de
savoir dire des banalités en ayant l'impression que cela
transfigurera l'univers incessamment sous peu.
A juste titre.
Le puissant incantateur et la face du monde se ressemblent :
ils sont réactifs, et savent retrouver leur virginité.
Se rasséréner, galvanisés. Et, l'un comme
l'autre, ils changent ... Le jeune d'esprit aime les raisins
secs avec les cacahouètes. Il préfère sans
glaçons.
Mento calypso. |
* à propos de Michel Jonasz : il faut qd
même dire que son dernier album (très bon climax)
pour l'écouter sur ma chaîne bon marché j'ai
du demander à un pote de me le craquer parce que leur
foutu system de protection m'empêchait d'entendre mon mien
tout neuf ! Alors si après on le vire en disant "tu
n'vends pas assez" on frôle le comble quand même
un peu là ! |